Il y a deux ans, au moment de l’investiture d’Obama comme Président des Etats-Unis, nous écrivions – pour résumer brièvement – que seuls les nigauds pouvaient croire qu’une telle fonction pouvait servir d’autres intérêts que ceux du grand capital, avec toutes les inévitables contradictions internes que cela implique 1 . Deux années sont passées et la situation économique et sociale aux Etats-Unis est celle que nous connaissons tous : chômage au plus haut, dette publique : idem, outil de production au ralenti, guerre commerciale sur l’échiquier international, tendance au protectionnisme évidente et croissante, politiques industrielles lourdement pénalisantes pour le prolétariat (à la GM, les syndicats ont accepté de très fortes baisses de salaires) et sentiment généralisé d’incertitude et de désillusion…
Au milieu de tout cela, de généreuses transfusions de milliards de dollars aux banques et aux entreprises, dans la (vaine) tentative de sauver les premières et de relancer les secondes; une réforme sanitaire risible dans sa pathétique tentative de mettre une misérable rustine (en faveur d’une petite bourgeoisie en voie de prolétarisation) sur l’un des plus gigantesques trous noirs du capitalisme US ; une guerre (en Afghanistan) qui continue et une autre (en Iraq) qui semble ne jamais finir : deux guerres qui, ensemble, maintiennent les dépenses militaires à un haut niveau et nourrissent un état de peur et d’inquiétude; une pression toujours plus forte sur un prolétariat composite et déjà abondamment torturé, néanmoins « privilégié » comparé à d’autres parties du prolétariat international; et puis … paroles, paroles, paroles, immergées dans cette mélasse qui plait tant aux « gauches » de tous acabits et de tous pays, des sociaux-démocrates rafraîchis aux « extra-parlementaires » qui se tortillent vers un retour au « parlementaire ».
De leur côté, les « experts » (les Krugmans, les Rubinis, les Stiglitzes, ceux de « droite » comme ceux de « gauche », les libéraux et les conservateurs) s’essoufflent en vain à chercher des réponses dans le tas d’ordures puantes de leur idéologie, tous plus ou moins préoccupés avant tout par ce qui se passe actuellement mais encore plus par ce qui pourrait arriver ensuite, tous englués qu’ils sont dans la fausse alternative « libéralisme-étatisme », incapables de comprendre :
a) qu’il ne s’agit pas de deux « recettes » opposées, l’une « meilleure » (pour qui ?) que l’autre, mais de deux stratégies auxquelles le capital recourt depuis toujours, depuis sa naissance pour assurer sa propre domination et la continuité de son programme de production
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1 Cf. « Il nuovo presidente USA e la Gonzi Interntional SpA », Il programma comunista, n.6/2008. Ce sont précisément les contradictions internes du capitalisme qui ont créé les conditions de la bastonnade électorale de Obama &Co à mi-mandat : après l’intoxication initiale, le président s’est avéré ne pas être à la hauteur du rôle de « grand communicant » qui lui était demandé (parce que c’est cela et rien d’autre, le rôle du président) – sous la pression de ces contradictions internes il fut incapable de créer le ciment idéologique capable de tenir ensemble des exigences différentes et contrastées en une unique « mission nationale ». S’il n’y parvient pas dans la seconde moitié de son mandat, le capital aura besoin d’un autre « communicant » : il le cherchera et le trouvera. En attendant, toutefois, la crise économique aura avancé à grands pas.
b) et que de toutes façons, depuis la fin de la seconde guerre mondiale (qui était censée avoir éliminé les « totalitarismes » au nom de la démocratie politique et économique), c’est en réalité « l’Etat-Patron » (entrepreneur, créditeur, centralisateur et autre matraqueur) qui a dominé la scène, et peu importe la rhétorique libérale vomie à un moment ou à un autre mais promue par un homme (ou une femme) de paille, Reagan ou Thatcher, champions d’un laisser faire désormais rejeté par l’histoire, les dirigeants du capitalisme sont toujours prêts à s’en remettre à l’Etat pour défaire les nœuds économique, en réalité insolubles. Voilà à quoi se réduit l’expertise des « experts » du monde bourgeois !
La question ne concerne évidemment pas que les Etats-Unis : puisque, comme toujours, le « modèle américain » se transfert partout à l’identique. Partout, c’est le chaos et la débâcle, l’incapacité à trouver des solutions, la navigation à vue, des déclarations mirobolantes et en pratique un petit cabotage, des scandales, grands et petits, pour créer un écran de fumée et faire oublier la réalité – alors que le train s’avance de plus en plus vite vers le gouffre 2 . L’unique chose que sache faire la classe dominante dans cette situation totalement désastreuse, c’est ce qu’elle a toujours su faire: resserrer les chaînes du prolétariat, le faire travailler plus (pour « être plus compétitive sur les marchés mondiaux »), le pressurer par tous les moyens (salaire, temps de travail, rythme de travail, retraite), nourrir les divisions en son sein (les immigrants ! les sans-papiers ! les terroristes ! ), le tabasser chaque fois qu’il ose relever la tête (et dans tous les cas mettre en œuvre une militarisation générale de la société) en sachant très bien qu’elle a à ses côtés les alliés historiques que sont les grands syndicats institutionnels (et les petits qui aspirent à jouer ce rôle) et les partis et mini-partis qui partagent maintenant depuis 80 ans un héritage de trahison systématique de la classe ouvrière.
La crise économique que nous traversons ne peut pas être résolue par le capital sinon par la méthode habituelle : en préparant une nouvelle guerre mondiale. Toutes les mesures adoptées au cours des dernières années n’ont pas seulement démontré leur incapacité à sortir le capital du cycle de crise commencé au milieu des années ‘70, elles ont créé les prémices d’autres effondrements et catastrophes encore plus profonds et dévastateurs que ceux qui les ont précédés : nous l’avons déjà documenté et démontré et nous ne cesserons pas de le faire, tout au long du développement de la crise 3 .
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2 Pour rester sur le seul terrain du chômage galopant, le directeur du FMI, Dominique Strauss-Kahn, a déclaré que, dans les deux dernières années, 30 millions de postes de travail ont été perdus, ce qui porte le chiffre du chômage mondial à 210 millions ; et qu’on s’attend à ce que le nombre de jobs perdus d’ici les années prochaines atteigne le chiffre astronomique de 400 millions. Si on ajoute ce chiffre à ceux du prolétariat mondial qui a encore assez de chance (?) pour avoir un emploi, que devient la thèse de la « disparition du prolétariat » ?
3 Voir, en particulier la série d’articles publiés dans notre presse italienne entre 2004 et 2008 sous le titre « il corso del capitalismo mondiale dal secondo dopoguerra del XX secolo, verso il terzo conflitto imperialistico o la revoluzione proletaria (Le cours du capitalisme de puis le seconde guerre mondiale du 20ème siècle, vers le troisième conflit impérialiste ou la révolution prolétarienne) » ; voir aussi : « Il crollo dei dei mercati finanziari è la palese conferma del grado estremo e irreversibile cui è giunta la crisi del sistema capitalistico (L’effondrement des marchés financiers est une claire confirmation du degré extrême et irréversible qu’a atteint la crise du système capitaliste) », Il programma comunista, n.4/2007 ; « Altre brevi considerazioni sulla crisi finanziara »,
Souvenons nous des thèses soutenues par le communisme depuis ses débuts : « Chaque crise anéantit régulièrement une grande partie, non seulement des produits existants, mais même des forces productives créées auparavant. Dans ces crises, éclate une épidémie sociale qui, dans les époques antérieures aurait semblée absurde – l’épidémie de la surproduction. La société se trouve soudain ramenée à un état momentané de barbarie ; tout se passe comme si une famine, une guerre générale d’anéantissement lui avaient coupé tous les moyens de subsistance ; l’industrie et le commerce semblent anéantis ; et pourquoi ? Parce qu’il y a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d’industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle dispose ne servent plus à faire progresser la civilisation bourgeoise et les rapports de propriété bourgeois ; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ces rapports, elles sont entravées par eux, et dès qu’elles surmontent cet obstacle, elles désorganisent l’ensemble de la société bourgeoise, elles mettent en péril l’existence même de la propriété bourgeoise. Les conditions bourgeoises sont devenues trop étroites pour contenir les richesses qu’elles ont créées. Et comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D’une part en imposant la destruction d’une masse de forces productives ; de l’autre, en conquérant de nouveaux marchés, et en exploitant plus à fond les anciens. Ce qui veut dire, en ouvrant la voie à des crises plus étendues et plus violentes et en diminuant les moyens de les prévenir. » (Marx-Engels, Le Manifeste du Parti Communiste, Chap.I : Bourgeois et Prolétaires ).
Donc, ils ne savent absolument pas quelle direction prendre. Au contraire, nous communistes savons vers où ils se dirigent. Nous savons que la crise va s’approfondir et devenir encore plus catastrophique jusqu’à ce que soient créées les conditions objectives qui obligent les différents capitalismes (et les Etats qui les représentent et les défendent) à s’affronter dans une guerre de tous contre tous en s’assurant des alliances qui servent leurs intérêts à un moment donné, en les brisant et en les renouant 4 – mais toujours, avant tout d’accord pour réprimer tout prolétariat qui refuse de se soumettre aux intérêts suprêmes de sa propre bourgeoisie et de l’économie nationale qu’elle représente.
Toutefois, nous savons également que le prolétariat ne restera pas le témoin passif de tout cela. Nous laissons les petits bourgeois aigris à leurs théories sur « la disparition du prolétariat », son « inexistence », et son « incapacité à réagir » (et aux nombreux autres « sujets » censés avoir pris sa place : les « masses », les « réseaux », les « citoyens », les « précaires », les changements carnavalesques de toutes les couleurs pré- et post-électoraux, toutes expression des classes moyennes parasites terrorisées par l’éventualité d’une chute dans le prolétariat et par-dessus tout par l’éventualité d’une issue révolutionnaire). Nous les
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Il programma comunista, n.5/2007 ; « Dalla crisi mondiale alla rivoluzione comunista », Il programma comunista, n.3/2008 ; « A proposito della crisi economica. Pacifica metamorfosi o catastrofe ? », Il programma comunista, n.6/2008 ; « La legge del valore e il crollo della competitività degli Stati-pedine d’Europa », Il programma comunista, n.6/2008 ; « Sempre piu instabile, caotico e distruttivo il mondo del capitale », Il programma comunista, n.6/2009 . Il va de soi que ce travail d’analyse est, pour notre parti, incessant, depuis le tout début des années 50 : la liste des études sur « le cours du capitalisme » est trop longue pour figurer ici dans une simple note de bas de page.
4 Il est encore bien trop tôt pour que l’on ait une idée claire du choix des camps, mais le récent bras de fer entre la France et l’Allemagne d’un côté et le reste de l’UE de l’autre à propos du « pacte de stabilité » est déjà un pas en direction de scenarii différents de ceux qui ont prévalus jusqu’à maintenant.
laisserons à leur chasse névrotique aux « nouvelles recettes » qui sont aussi vieilles que le capitalisme lui-même, après les « nouveaux mythes » avortés dès leur apparition (depuis le « premier Président noir de l’histoire américaine » jusqu’au « premier syndicaliste Président dans l’histoire du Brésil », depuis le neo-travailliste à la sauce italienne jusqu’à l’anti-capitaliste neo-populiste qui finit par instituer des convergences entre droite et « gauche » pas si paradoxales que ça après tout).
Nous savons, grâce à une théorie et une expérience historique que – jusqu’à un certain point – les masses exploitées ne peuvent faire autrement que se révolter (la classe dominante, elle, partout dans le monde, le sait et s’y prépare). Elles le feront sous forme d’explosions soudaines, à des moments imprévisibles. Et à travers ces rébellions, elles réaliseront que des explosions spontanées ne suffisent pas : que quelque chose de plus est nécessaire – l’organisation, l’union, la coordination, la continuité, l’autonomie, une direction – à la fois à court terme et à long terme. Elles feront l’expérience du besoin de tout cela. Et elles le trouveront dans le parti révolutionnaire qui a prouvé sa capacité à se battre avec elles, sans interruption (même quand il était ignoré et apparemment relégué sur la touche) les guidant et les organisant, les mettant en garde contre les ennemis et les faux amis, leur montrant les pièges et les embûches et pardessus tout proclamant haut et fort à tout moment, en en montrant pas à pas la nécessité historique, la nécessité de la bataille suprême : celle de la prise du pouvoir contre l’Etat capitaliste et pour l’instauration de leur propre pouvoir dictatorial, unique voie possible pour réorganiser (au niveau mondial) une société immergée depuis si longtemps dans la décadence et l’infamie, dans la souffrance, la faim et la guerre.
Parti communiste international
(Cahiers Internationalistes)