CE QUI DISTINGUE NOTRE PARTI: La ligne qui va de Marx à Lénin, à la fondation de l'Internationale Communiste et du Parti Communiste d'Italie (Livorno, 1921), à la lutte de la Gauche Communiste contre la dégénerescence de l?Internationale, contre la théorie du "socialisme dans un seul pays" e la contre-révolution stalinienne, et au refus des froints populaires et des blcs partisans et nationaux; la dure uvre de restauration de la doctrine et de l'organe révolutionnaires au contact de la classe ouvrière, en dehors de la politique personnelle et électoraliste.


Laissons à d’autres la simple chronique des événements, le récit journalistique assaisonné de couleurs locales et de nouvelles à sensation, la rhétorique des lieux communs. Allons au cœur des faits, de la dynamique de ce qui est déjà arrivé et de ce qui est entrain d’arriver dans cette ceinture de pays qui désormais va du Maroc à l’Iran en descendant la péninsule arabique. Avec une intensité et une ampleur diverses, les masses prolétariennes et prolé-tarisées de ces pays sont descendues dans la rue, se foutant royalement des appels à la modération, poussées par la crise. Après des décennies d’oppression et de répression, de tromperies politiques (laïques et religieuses), de trahisons et de volte-face des mouvements autoproclamés « frères » ou « amis », elles ont fait sauter le couvercle institutionnel et légal qui les écrasait.

Elles ont démontré (d’une manière inconsciente, mais magnifiquement matérialiste) que, qu’importent la profondeur où sont actuellement la solitude, l’isolement, le fractionnement du prolétariat mondial, qu’importent les dévastations résultant de la contre-révolution des 80 dernières années, c’est sous la pression insupportable des faits matériels qu’on se rebelle : la faim, la misère, le désespoir, l’impossibilité de survivre, le manque total de perspectives... et non pas au nom du Christ ou de Mahomet, non pas pour quelque misérable réforme et non pas pour sauver on ne sait quel « droit » tombé du ciel on ne sait pas très bien comment : mais parce qu’on n’arrive plus à vivre, ni même à survivre.

Maintenant il est grand temps de mettre les choses au clair. On ne déploiera pas des flots d’éloquence pour démentir qu’il s’est agi d’une « révolution », comme néanmoins on l’entend dire de toutes parts et surtout par ceux qui, en Occident, font la grimace et font un petit sourire de circonstance quand ils entendent parler de travailler pour la révolution, puis ont la bouche pleine de bêtises à propos du mot « révolution » quand ils trouvent l’occasion de dégoiser des crétineries.

Cela n’a pas été une révolution. Une révolution met en cause non pas un régime (même si c’est le pire des régimes), mais un mode de production dans son ensemble. En Algérie, Tunisie, Egypte, Lybie et ailleurs, cela a été un fort et grand mouvement de rébellion, parti des masses prolétariennes et prolétarisées qui ont dit assez ! Le poids d’une contre-révolution qui dure depuis plus de quatre vingt ans (et qui s’est traduite par l’inertie du prolétariat des citadelles impérialistes, le manque d’un parti révolutionnaire enraciné internationalement et enfin le caractère spontané et non organisé des révoltes) a empêché depuis le début que ce mouvement  (d’une splendide puissance) ait une chance de se transformer en quelque chose un tant soit peu semblable à un mouvement révolutionnaire. Cela suffit pour le moment, nous y reviendrons.

Nous ne sommes même pas en présence d’un sursaut tardif du mouvement anticolonial. Le cycle des révolutions nationales et anticoloniales s’est clos au milieu des années 70 entre le Vietnam et l’Angola. Depuis ce moment là, tous les pays qui ont connu les « délices »  de la domination coloniale (l’exploitation sauvage de la main d’œuvre et des matières premières qui a rendu possible le boom économique du second après-guerre, en engraissant tous les soi-disant « pays développés » et contribuant à remplir les poches de ces « réserves » utile et nécessaires pour retarder l’explosion du mécontentement social), tous ces pays sont en tout et pour tout des pays capitalistes, gérés par des bourgeoisies combinardes, compro-mises avec les vieux régimes, liées à l’un ou l’autre des impérialismes, assises sur des barils de pétrole ou des wagons de matières premières et de métaux précieux, toujours promptes à alimenter « les conflits religieux » et  « les conflits ethniques » (et éventuellement aussi à se proclamer, en paroles, anti-impérialistes !), louant telle ou telle bande de légionnaires étran-gers ou indigènes (quel que soit leur nom) pour massacrer des populations désarmées. La misérable histoire de la bourgeoisie mondiale (Angleterre, France, Italie, Etats-Unis, Allema-gne...) continue donc dans ces pays avec un niveau de violence et de cynisme rendu encore plus élevé par le processus sans fin de putréfaction impérialiste. Cela continue aussi au niveau des régimes qui ont géré le passage depuis l’époque coloniale à l’époque post colo-niale : régimes en quasi totalité militaires, tenus par des colonels, des généraux, des dicta-teurs et autocrates, comme il convient à une phase de transition dans laquelle le pouvoir doit être dirigé (également – si nécessaire – sous forme d’une dynastie) de la manière la plus centralisée, la plus autoritaire, la plus univoque (sinon la plus corrompue) possible – parce que c’est comme cela qu’on s’assure de la paralysie sociale à l’intérieur et des canaux d’af-faires économiques privilégiés avec l’extérieur : bâtons, carottes, pots de vin. Encore une fois, inutile de s’étendre sur l’étude de la dynamique des pouvoirs des régimes capitalistes au cours de leur histoire séculaire pour s’en rendre compte.

Nous ne sommes même pas en présence d’un mouvement dont le fond est  religieux. Il n’y a pas (du moins pour le moment) ces ayatollahs fondamentalistes prompts à gérer la puissance sociale et à se substituer à des Shahs désormais imprésentables comme cela s’est produit à Téhéran en 1979. Il n’y a ni Hezbollah, ni Hamas ni d’autres groupes similaires servant de couverture pseudo religieuse aux bourgeoisies, ordures cherchant à obtenir une plus grande partie de la rente pétrolière. En fait, le Hamas se tait (qui par contre est descendu sur le terrain pour contrôler les prolétaires palestiniens dans la Bande de Gaza) et les Frères Musulmans se tiennent de côté en attendant de voir  vers où va le vent et se présentant même comme un parti « national » et laïc ; quant à Al Quaïda, elle démontre de plus en plus qu’elle n’est rien d’autre qu’une Légion Etrangère à la sauce fondamentaliste, prompte à s’affilier à telle  ou telle fraction de la bourgeoisie, nationale ou internationale, pour d’obscures vengeances entre fractions bourgeoises.

Nous sommes au contraire en présence d’un mouvement né dans la profondeur du sous- sol social et déchaîné par la progression de la crise économique, qui – nonobstant toutes les déclarations d’un optimisme prudent émanant des « experts » et des politiques – continue son chemin inexorable, détruisant les fausses stabilités et certitudes et en même temps, abattant les murs et les barrières idéologiques et fusionnant, au nom de l’urgence pour la survie, les différents secteurs d’un prolétariat mondial souffrant et abandonné à lui-même. La succession des événements d’Egypte le démontre vraiment d’une manière éclatante. Là, au début de l’année, un attentat dans une église chrétienne copte a semblé sur le point d’enclen-cher une énième spirale de conflit religieux : la lecture que nous en avions faite était que la tension sociale devait avoir atteint un point vraiment élevé, vu qu’il a été nécessaire d’envoyer sur le terrain... Al Quaïda ou autre, en suivant une méthode qui s’est répétée tragiquement au cours de toute la dernière décennie. Et en fait, comme certains des observateurs bourgeois eux-mêmes ont du le reconnaître (Corriere della Sera, 26/2 : « Le massacre, certainement planifié par des extrémistes sunnites liés à Al Quaïda, avait un objectif : créer un conflit entre musulmans et coptes. Mais le plan n’a pas marché... »), et quelques semaines après ce sont les masses prolétarisées égyptiennes, quelles qu’aient été leurs confessions religieuses ou leur appartenance politique, qui se sont retrouvées ensemble dans les rues pour combattre leur unique ennemi : l’oppression capitaliste quotidienne, incarnée en Egypte par Hosni Moubarak, en Tunisie par Ben Ali, en Algérie par Bouteflika, en Lybie par Kadhafi, et ainsi de suite (1).

Malheureusement, pour les raisons que nous indiquions plus haut, nous ne sommes pas en présence d’un processus révolutionnaire susceptible d’avoir comme objectif de subvertir le mode de production capitaliste, cause première et unique de la monstrueuse souffrance d’un continent entier, d’un monde entier. C’est là que réside la tragédie infinie d’aujourd’hui comme d’hier, c’est là la raison première des bains de sang qui n’ont pas cessé d’épuiser le prolétariat mondial depuis quatre vingt ans. Donc, surtout en Egypte, après la grande flambée initiale (300 morts au moins), on a assisté au déplacement progressif de l’orientation de la révolte des masses prolétarisées vers les intérêts de fractions de la bourgeoisie (fortement liées aux bourgeoisies internationales qui ont d’énormes intérêts économiques locaux) qui, sentant le vent,  font en sorte que « tout change pour que rien ne change » et vers les intérêts d’une petite bourgeoisie démocratique intéressée seulement aux réformes de régime qui leur concèdent (éternelle illusion petite bourgeoise !) une plus grande marge de manœuvre. Sous la pression incessante de la crise économique, la rigidité pyramidale de la structure des pouvoirs qui avait assurée ce passage de l’époque coloniale à l’époque post coloniale (et qui, ce faisant, avait créé – entre autres à travers un ample réseau de corruption géré centralement – une couche croissante de bourgeoisie d’affaires hétéroclite), cette rigidité devait sauter, devait laisser la place à une dynamique plus fluide et « libre » - un « sauve qui peut » typique des régimes bourgeois en temps de crise. D’une certaine façon, dans leur partie la plus profonde et du point de vue de la dynamique bourgeoise, les événements de la Méditerranée méridionale sont une réplique de ce qui s ‘est passé en Russie à la fin des années 80 du 20ème siècle : le développement capitaliste « en serre », géré centralement, avec des structures rigides et étatiques, à travers lesquels passaient seulement le commerce et les échanges mondiaux, a du se reconfigurer précisément sous la pression de la nouvelle phase de la crise économique qui s’est développée à partir du milieu des années 70 (2). D’où, toutes les forces centrifuges (sur le plan politique, économique et social) qui s’en sont suivies et que nous connaissons bien.

D’autre part, il n’y a pas de contradiction dans le fait que ce passage (vers le rêve  impossible d’une « libéralisation » économique, politique et sociale, toujours et encore dans l’intérêt du Capital) soit géré encore une fois par l’armée comme cela est entrain de se produire en

 

1. Les « événements de la Lybie » sont en cours, nous les commenterons de manière complète prochainement.

 

2. Cf. nos articles publiés  “Il mito della ‘Pianificazione socialista’ in Russia” (Quaderni del Programma Comunista, n. 1, agosto 1976) et “La Russia si apre alla crisi mondiale” (Quaderni del Programma Comunista,  giugno 1977  donc bien antérieurs à la période fatidique 1989-90.

 

Egypte depuis les premières semaines de février. Ou pour mieux dire, c’est la contradiction typique des régimes bourgeois à l’époque impérialiste que les petites bourgeoisies geignar-des et les franges puantes de la pseudo-gauche ne peuvent saisir : le capital peut seulement être autoritaire, il doit imposer son propre pouvoir sur le lieu de travail comme dans la société. Il est profondément fasciste, au moment même où sa bouche déborde de phrases « démocratiques » et « libérales » : l’histoire italienne, dans le passage entre la période mussolinienne et l’après guerre béat dans lequel nous sommes encore immergés, l’enseigne magistralement. Et il reste surtout profondément fasciste, quand le passage résulte de la pression des révoltes des masses prolétariennes et prolétarisées descendues dans la rue pour des raisons matérielles et non idéologiques – en somme, l’éternel spectre d’un prolé-tariat dont la bourgeoisie ne peut pas se passer et par lequel elle est toujours et de toutes façons terrorisée. Ce n’est pas par hasard que la première mesure adoptée par le régime militaire égyptien après le retrait du « despotique Moubarak » a été l’interdiction des grèves (3).

 

Pour sortir de cette impasse (qui n’exclut pas d’autres bains de sang, en Egypte comme ailleurs), d’autres conditions devront mûrir. La première sera la progression de la crise elle-même : le démantèlement des « garanties », la dégradation des conditions de vie et de travail, la répression de la part des classes dominantes à travers leur Etat (qui n’est pas « l’affectueux père » de tous, mais la « mitraillette » de défense du capital), tout cela, au niveau matériel amènera le redéploiement de luttes prolétariennes ouvertes. Décisif, pour cela, seront le réveil et le retour dans la rue des prolétaires d’Occident (depuis longtemps désormais camarades de travail et de condition de vie des dizaines de milliers des prolétaires immigrés de ces mêmes pays revenus sur la scène dans les premiers mois de 2011) : prolétaires d’Occidents endormis et drogués par des décennies de faux bonheur et par-dessus tout décapités de leur tête pensante et dirigeante, le parti révolutionnaire. Ainsi ce retour sur la scène du prolétariat en lutte dépend en fait (seconde condition) de la mesure dans laquelle avancera le long et difficile travail à contre-courant d’enracinement du parti communiste international, et de la mesure où s’affirmera de manière implacable son influence déterminante sur l’avant-garde en lutte, contre tous les traitres (syndicaux et politiques) du prolétariat.

 

En même temps que nous attendons que l’incendie avance avec ses inévitables pauses et régressions, mais aussi avec ses flambées imprévisibles, travaillons nous donc à développer et enraciner le parti révolutionnaire, à combattre nos bourgeoisies nationales respectives, à contribuer à la soudure des différents régiments des prolétaires en lutte. Pour faire vraiment de la Méditerranée notre mer à nous: rouge comme notre drapeau !

 

3. A quel point est menaçante pour la bourgeoisie la présence des prolétaires dans la rue, en témoigne le fait que, dans le silence des medias qui au contraire consacrent des verbiages sans fin à la « révolution internet », les grèves en Egypte continuent avec vigueur : dans l’industrie textile (au Caire, à Damiette et à Mahalla, déjà impliquées dans les grands mouvements de lutte des années passées), dans l’industrie pétrolière (les travailleurs de la Petrotrade), dans le tourisme et dans les transports...

 

 

 

Parti Communiste International

(International Papers - Cahiers Internationalistes - Il Programma Comunista)

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