CE QUI DISTINGUE NOTRE PARTI: La ligne qui va de Marx à Lénin, à la fondation de l'Internationale Communiste et du Parti Communiste d'Italie (Livorno, 1921), à la lutte de la Gauche Communiste contre la dégénerescence de l?Internationale, contre la théorie du "socialisme dans un seul pays" e la contre-révolution stalinienne, et au refus des froints populaires et des blcs partisans et nationaux; la dure uvre de restauration de la doctrine et de l'organe révolutionnaires au contact de la classe ouvrière, en dehors de la politique personnelle et électoraliste.


« Comment sommes-nous arrivés à ce système mondial qui montre aujourd’hui qu’il se met péniblement en marche vers un troisième conflit qui, hérissé d’équipements productifs, gonflé de masse financière, muni d’un réseau de contrôle diplomatique, véritable ’super-état’ pour les trois quarts de la terre, et pourvu d’une organisation de propagande qui étouffe la surface de la planète, son atmosphère et, pour ceux qui y croient, jusqu’au domaine impondérable de ‘l’esprit’, maître enfin d’une force armée par rapport à laquelle les grands généraux de l’histoire arrivaient peut-être seulement jusqu’à avoir commandé un bataillon de cure-dents, et qui est définie par l’expression plus stupide qu’effrontée de ‘monde libre’? » (« Dégoût et mensonge du monde libre », Battaglia comunista, n°15, 1950).

Le système mondial qui était inauguré à l’époque où nous publiions ce texte (1950) est fondamentalement le même qu’aujourd’hui. Le mouvement conduisant à la Troisième Guerre s’est développé lourdement à travers une prolifération de guerres locales, et une fois effacé sans effort guerrier l’«antagoniste bipolaire », il a dirigé son élan vers la domination et la colonisation de toute la planète. A son service, la force armée la plus puissante que l’histoire humaine ait jamais connue (1).

Tous les moyens militaires, technologiques, de la propagande et de l’économie ont été conçus et utilisés pour imposer les principes du « monde libre », afin qu’aucun d’eux n’échappe à la « liberté » dont est le porte-drapeau la nation au « destin  magnifique et exceptionnel », une nation née colonialiste au dépens des  indiens d’Amérique , esclavagiste au dépens des africains, et aujourd’hui chargée  de réserver le même sort à tous les peuples du monde – mission non encore achevée, et qui est  arrivée aujourd’hui à une étape décisive. Il n’est pas exagéré d’affirmer que la Troisième Guerre serait déjà commencée depuis longtemps (l’usage du conditionnel est cependant obligatoire pour au moins deux raisons :  premièrement  parce que pour le moment, et surtout dans les grandes puissances impérialistes, malgré l’augmentation des dépenses militaires on n’assiste pas à des signes  véritables de militarisation des investissements typiques de l’économie de guerre, deuxièmement parce que pour l’instant la mobilisation nationale des populations est encore plutôt superficielle) et que le futur proche réserve une série de combats qui décideront de son issue.

Dans son avancée, le « monde libre » peut compter sur des technologies extrêmement sophistiquées pour marquer sa propre supériorité sur les forces qui s’opposent à lui. Sa marche va de pair avec le triomphe de la technique, qui est le triomphe de la domination de l’homme sur l’homme, puisque dans le capitalisme, depuis un certain temps tout progrès technique se traduit par une plus stricte soumission à ses lois. A l’usine, le passage de la subordination formelle à la subordination réelle de l’ouvrier passe par le machinisme et l’application de la science à la production ; dans la société, elle passe par l’extension du machinisme à tous les aspects de la vie sociale.

 Reprenons le même texte :

« Pour Benjamin Franklin (le personnage qui représente les origines de la « libre Amérique », matrice du « Nouveau Monde », NDR) l’homme est par nature un « toolmaking animal », c’est-à-dire un animal qui fabrique des outils.  Que voulez-vous de plus bourgeois ? L’auteur de cette cynique définition meurt en 1790, mais l’impérialisme naît du fait d’avoir fabriqué beaucoup, beaucoup d’outils.  La bombe atomique est aussi un outil, ô vous qui regrettez les Franklin ! »

 

La Bombe est l’outil par excellence, elle est la synthèse et la matérialisation du processus de soumission. Personne ne peut s’opposer à elle sous peine d’apocalypse, mais sa puissance illimitée est aussi sa limite :  son utilisation comme outil doit se contenter d’être une démonstration de puissance, sinon elle anéantit avec les dominés la domination elle-même. Peut-être que les cercles étroits de la haute bourgeoisie financière comptent survivre et aménagent de luxueux bunkers, mais sur qui exerceront-ils leur domination, quand il n’y aura plus personne à exploiter ? La Bombe est l’expression maximale de l’outil au sens que prend celui-ci dans la société du Capital : mais elle est aussi l’expression des limites du Capital. Par la généralisation de l’instrumentation, plus encore si elle est immatérielle et douée à sa manière d’une intelligence qui se passe de l’homme, en rendant l’homme lui-même superflu, inadéquat, arriéré (2), le Capital se détruit lui-même, les bases de sa valorisation qui confère un sens à son mouvement. Le fait qu’aujourd’hui on recommence à envisager l’hypothèse d’une utilisation de la Bombe est peut-être le symptôme qu’on a atteint la limite de l’avancée, au-delà de laquelle se pose l’alternative : ou révolution, ou désastreuse catastrophe.

Le domaine de la technique, produit d’une science qui est loin d’être « neutre », et qui s’entend et se développe essentiellement pour créer des outils orientés vers le profit et la domination, aujourd’hui va bien plus loin que la production strictement matérielle de biens. Il touche, « pour ceux qui y croient, au domaine impondérable de l’esprit » ; la domination ne peut pas faire abstraction du contrôle de la pensée, des émotions, des sensations des dominés. Ici aussi le passage  de la domination formelle à la domination réelle s’est réalisé au moyen d’une instrumentalisation étendue et pénétrante, capable d’atteindre et  de modeler  les multitudes et l’individu – mieux encore si c’est depuis l’âge le plus tendre. Sa perpétuelle liaison réduit l’individu au rôle de terminal de ce general intellect (3) qui est aujourd’hui contrôlé par une poignée de grands groupes financiers qui concentrent dans leurs mains des appareils monstrueux capables de contrôler les pensées, les comportements et les consommations, et de les orienter vers le profit maximum. En même temps, elle le détache des rapports qui se forment dans la réalité concrète, en proposant des mondes virtuels qui se développent de façon antinomique par rapport au monde réel. Une personne qui s’était formée au contact de notre courant en a tiré – il y a déjà longtemps – l’idée que l’extension de la domination réelle, bien au-delà de la journée de travail, à la totalité de la vie de l ‘ouvrier, implique que l’humain perde tout reste d’autonomie par rapport au grand Moloch, et s’identifie au Capital et à ses lois : l’anthropomorphose du capital (4). Il en tirait la conclusion que ceci implique la fin de la lutte de classe, du prolétariat, et de la possibilité historique de dépasser le capitalisme de la façon indiquée par Marx. Il restait l’être humain face à la puissance monstrueuse du Capital, mais les possibilités de s’y soustraire étaient réduites à la conscience de cette domination, à la possibilité de « faire comme si » : vivre comme si on était déjà dans la communauté future, de l’humanité qui se se retrouve elle-même.

 Il n’est que trop facile de riposter à cet étrange théoricien de l’invariance qu’il a laissé bien peu d’invarié dans l’historique doctrine, en décrétant le besoin d’abandonner la perspective de la révolution prolétarienne, en donnant pour certain que telle était la sentence de l’Histoire, et en confiant le destin de l ‘espèce humaine à l’horizon étroit des choix individuels, de groupes ou de « communautés » S’il en allait ainsi, il resterait bien peu d’espoir dans le destin de l’espèce humaine, obligée de passer par une terrible catastrophe qui, à supposer qu’elle ne l’anéantisse pas, la condamnerait à régresser et à reparcourir des siècles, en suivant le sillon de parcours d’émancipation dont on espère qu’ils ne reproduisent pas la faillite de celui qui est en train de s’accomplir.

 

Si on accueillait ces théorisations, il faudrait en conclure que l’histoire humaine est arrivée à une impasse. La vision marxiste elle-même ne l’exclut pas dès le Manifeste fondateur de 1848, qui envisage la possibilité que, si la révolution ne triomphe pas, toutes les classes connaîtraient le même désastre.  Ce rappel suffirait à tirer un trait sur tous ceux qui attribuent à Marx une vision téléologique qui serait en fin de compte débitrice du « progrès » dont le capitalisme a indéniablement été le porteur. Mais si Marx a célébré le rôle historique du capitalisme, il en a aussi révélé les insolubles contradictions, ses limites comme mode de production, et donc la nécessité de le dépasser. Lorsque Marx reconnaît que la limite du Capital consiste dans le fait qu’il est un obstacle au développement des forces productives, et donc qu’il est historiquement transitoire et destiné à périr, il ne pose pas une limite quantitative absolue à la masse de la production et des moyens qui l’engendrent. Marx affirme que l’essence du Capital consiste dans le fait qu’il se présente comme un « immense amas de marchandises », et que l’obstacle consiste entièrement dans la forme mercantile, dans le fait qu’il est une expression de valeur, de sorte que la production est cycliquement excédentaire par rapport aux possibilités de valorisation, mais que même dans ses phases d’«expansion» elle demeure incapable, à cause de sa forme même, de satisfaire les besoins humains. Ensuite, lorsqu’il pose la limite indépassable de la « capacité de consommation des masses », il met d’un côté en évidence le gâchis implicite dans l’excédent productif, qui ne peut être consommé sans qu’en soit d’abord réalisée la valeur, et de l’autre le fait que la capacité humaine de consommation n’est pas infinie : elle a elle-même des limites quantitatives humaines.

Mais l’énorme accumulation de marchandises doit continuer à se développer et satisfaire la soif inextinguible de valorisation du Capital. Cela comporte, d’une part, l’augmentation absolue de la production et l’élargissement constant du cycle de la circulation qui lui correspond », avec pour conséquence que « la circulation elle-même se présente comme un moment de la production » et que « la tendance à créer le marché mondial est donnée immédiatement dans le concept- même de capital. Toute limite se présente ici comme un obstacle à dépasser » ; d’autre part cela comporte le fait que « la production de plus-value relative, c’est-à-dire la production de plus-value basée sur l’augmentation et le développement des forces productives, exige la production de nouvelles consommations » - y compris « la production de besoins nouveaux et la découverte et la création de nouvelles valeurs d’usage » (Marx, Fondements de la critique de l’économie politique, souligné dans le texte).

Ce processus, auquel Marx lui-même attribue une « énorme influence civilisatrice », ne connaît pas de limites géographiques, ni de limites aux besoins humains définis au nom de quelque idée de l’«humain» qui établirait des frontières, qu’elles soient physiques, philosophiques, religieuses ou morales. L’idée d’homme change donc de contours et se redéfinit à mesure que les besoins et les désirs correspondants sont étendus par l’extension de la production à de toujours nouveaux domaines.

« En vertu de cette tendance, le capital tend à dépasser soit les barrières et les préjugés nationaux, soit l’idolâtrie de la nature, la satisfaction traditionnelle, orgueilleusement enfermée dans d’étroites limites, des besoins existants, et la reproduction de l’ancien mode de vie. A l’égard de tout ceci, le capital exerce une révolution permanente, il abat tous les obstacles qui freinent le développement des forces productives, la dilatation des besoins, la variété de la production, et l’exploitation et l’échange des forces de la nature et de l’esprit » (Marx, Fondements, cit.).

 

L’avancée du « monde libre » suit celle des lois qui fondent le mode de production capitaliste, en étendue et en profondeur au sens où il s’enracine dans les comportements humains :  quantitativement – comme masse de l’immense accumulation de marchandises éructée par le volcan de la production – et qualitativement, comme une forge qui fabrique de nouveaux produits et de nouveaux besoins.

La prolifération de besoins nouveaux et différents par rapport à ceux qui ont défini l’être humain avant que le Capital ne s’impose comme système général est pour Marx la preuve de l’extraordinaire action transformatrice du Capital.  Mais ce mouvement inexorable doit arriver historiquement à des limites qui ne peuvent être dépassées sans qu’il soit manifeste que le capitalisme est insupportable pour notre espèce. En ce qui concerne la variété des produits et des besoins nouveaux que le Capital a créés depuis qu’il s’est imposé historiquement comme mode de production général, jusqu’à un certain stade de son histoire – et seulement en ce qui concerne les aires les plus avancées du point de vue capitaliste—

la production de marchandises nouvelles et des besoins correspondants a déterminé une amélioration générale des conditions de vie. Cette phase, considérée également dans les différentes étapes de son développement, qui couvre tout l’arc allant de l’époque de la Révolution industrielle aux années Soixante-dix du siècle dernier, s’est conclue par la fin de la reprise d’après-guerre, et a abouti à une nouvelle phase fondée sur la financiarisation et la dislocation de la production dans de nouvelles aires plus rentables du point de vue du taux de profit. Dans les vieilles métropoles, transformées d’aires productives en aires de consommation dépendant en grande partie de productions étrangères, une bonne tranche des nouvelles consommations était centrée sur les services, en particulier sur ce qu’on appelait le « temps libre » (et qui était en réalité un « temps libéré » des nécessités de la reproduction grâce au développement des forces productives sociales – cf. Note 3) : sur cette part de vie que le Capital s’appropriait peu à peu en créant toujours plus de besoins superflus ou même  nuisibles. La croissance productive consiste en bonne partie à satisfaire des besoins factices, en donnant de nouvelles bases à la loi malthusienne de la population adoptée par les très modernes chantres de la société du bien-être.

 

« Les tout modernes remplacent la bande parasitaire des nobles et leur suite par la même masse indistincte de consommateurs nationaux, en les obligeant à consommer comme des imbéciles :  peu de nourriture, beaucoup d’équipements pour des besoins factices. Ils considèrent qu’une masse excitée et droguée mais peu nourrie fera moins d’enfants et que leur fameux produit par tête demeurera ‘élevé’» (cf. notre texte «  Volcan de la production ou marais du marché ? », il programma comunista, n° 13-19/1954, repris ensuite dans Economia marxista e economia controrivoluzionaria, Editions Iskra, 1976, p. 133).

A partir des années 1990, la diffusion des nouvelles technologies fondées sur l’informatique augmenta les possibilités de contrôle centralisé sur les flux financiers, sur la durée de la production et sur celle de la consommation, dans une dimension désormais mondialisée. Une nouvelle phase s’ouvrit avec la grande crise de 2008-9 ; celle-ci ne fut pas suivie d’une reprise vigoureuse, mais d’un mouvement asphyxique compensé par une énorme expansion de capital fictif engendré par la politique d’«argent facile » des banques centrales.  Le précaire équilibre assignait aux métropoles – en particulier aux Etats-Unis – un rôle parasitaire de consommateurs en perpétuel déficit par rapport à l’étranger, qui ne pouvait se perpétuer.  Parasitaire, mais essentiel pour garantir la continuité du mécanisme mondial d’accumulation : tout le système complexe de production mondialisée s’est mis à tourner autour du volcan de la production chinoise et du marais du marché dans la métropole américaine.

Le partage de rôles différents et complémentaires dans le système mondial confirmait la position dominante du capital financier de la métropole atlantique dans le mouvement des capitaux et des marchandises à l’échelle planétaire, mais il comportait un écart croissant d’intérêts entre les aires de production de plus-value et les aires de consommation parasitaire, en créant les prémisses d’une lutte toujours plus âpre pour la répartition des quantités de plus-value mondiale.  En effet la croissance exagérée de capital fictif engendré par la machine financière ne pouvait pas compenser indéfiniment la perte de poids productif du capitalisme hégémonique. D’où l’état de guerre permanent imposé par les Etats-Unis dans les aires stratégiques de la planète par où passaient les lignes directrices d’expansion de l’influence économique et politique des nouveaux concurrents, avant tout la Chine.

Au cours de l’année 2019, les symptômes d’une crise inflationniste imminente également engendrée par les politiques monétaires expansionnistes, qui menaçait de provoquer l’écroulement du système financier global, ont imposé au Capital un nouvelle grande inquiétude après celle de la « Guerre globale contre le terrorisme » inaugurée par l’attaque contre les Tours Jumelles. La crise de la pandémie, avec le ralentissement brutal du commerce mondial et de la consommation qu’elle a entraîné, a conjuré temporairement l’explosion des prix et a permis d’introduire des formes de discipline sociale sans précédent. Au nom de la Science et de la Santé Publique, on a imposé, en même temps que les restrictions bien connues, la consommation de vaccins. Tandis que Big Pharma s’assurait des profits énormes payés avec l’argent public, on instaurait en même temps une subordination encore plus étroite de l’Etat au pouvoir des grandes oligarchies financières, on instaurait un contrôle encore plus drastique et plus centralisé sur la société, et on décrétait légalement de nouveaux besoins. Ainsi était inaugurée la saison des besoins imposés. Depuis, c’est l’inquiétude de service qui devait les imposer : hier la pandémie, aujourd’hui c’est la crise climatique qui justifie un très coûteux tournant «écologiste»,  dont s’apprêtent à tirer avantage, de diverses manières, les maîtres de la finance mondiale. Et puis il y a la guerre, qui impose des marchandises et des consommations d’un autre genre. 

Le Capital, ne pouvant plus se contenter de créer de nouveaux besoins factices en lançant de nouveaux produits dans l’ensemble inutiles, expérimente et étend le domaine du marché au domaine le plus intime des êtres humains, celui qui concerne la corporéité, la santé, l’identité sexuelle, la procréation. Il s’agit de besoins vitaux, qui concernent directement l’existence biologique et, « pour ceux qui y croient, spirituelle » des êtres humains. Le corps lui-même devient objet d’expropriation au moment où la contrainte sanitaire apparaît comme un véritable Traitement Sanitaire Obligatoire (TSO) étendu à des individus pleinement capables de comprendre et de vouloir. Parallèlement, la destruction des systèmes sanitaires nationaux et leur réorganisation sur le modèle des assurances made in USA diminue malthusiennement le bien primordial de l’assistance médicale. Sont aussi factices, même s’ils concernent des aspects sensibles de la vie humaine, les besoins liés au trafic des fœtus, à la promotion d’une identité  sexuelle fluide, indéterminée, adaptable à des modèles de comportement et de consommation variables (5).

Non seulement le monde est devenu un unique grand marché, mais même les moments les plus significatifs de la vie de l’être humain, de sa naissance à sa mort, se revêtent de la forme mercantile, qui passe pour un « droit » prétendument indépassable (6). Tout peut être changé en argent. Si l’événement de la naissance se propose comme une marchandise, il crée immédiatement le besoin et le marché qui lui correspond, ennobli par le discutable « droit d’avoir des enfants » même quand la physiologie ne le permettrait pas. La liberté imposée par le capital est la « liberté de la marchandise», le pouvoir absolu de la marchandise sur l’existence humaine , la transformation de tous les aspects de la vie en marchandise, la marchandisation totale de l’existence. Tel est le sens ultime de la grande avancée, de la mission du « monde libre ». Surclassé  par les capitalismes émergents sur le  terrain de la production  de plus-value, le capital financier occidental promeut la marchandisation de tous les aspects de la vie, un processus d’expropriation généralisée , guidé par l’endettement, des biens qui constituent des réserves ou des sources de revenu (maisons, terrains, petites activités économiques) de larges couches de la population, de destruction des restes (prétendus) de « société du bien-être » (santé, instruction, assurances sociales), qui subsisteraient encore dans la société du prétendu bien-être , et sont objet de privatisation. C’est là le terrain de la guerre que le capital occidental mène sur le front intérieur et qu’il entend imposer au monde entier.

La marchandisation de l’existence va de pair avec une croissante déshumanisation (aliénation, réification). C’est justement parce que le mode de production capitaliste a réduit le travailleur à l’état de marchandise force de travail , et de consommateur de marchandises produites au moyen de marchandises, que l’être humain est lui aussi une catégorie marchande soumise à la loi de l’offre et de la demande. Les besoins sont toujours moins satisfaits par la marchandise, et est toujours plus satisfait le besoin de la marchandise de se valoriser, dans un système de réalisation maximum de la valeur incorporée dans les marchandises, qui tend à rendre l’être humain le plus possible fonctionnel à cette fin.

 

Quand la marchandise conquiert l’homme, elle se réalise elle-même comme valeur d’échange, mais aussi comme valeur d’usage, sinon elle ne serait que matière inerte ou service inutile. Pour cela la marchandise doit s’imposer à l’homme, conquérir ses sens, modeler ses pensées et ses désirs, remplir le bazar des passions de marchandises voluptuaires présentées comme indispensables. Quand par ailleurs le besoin ne peut être présenté aux sens et au psychisme par la tromperie et la suggestion, alors la marchandise est présentée en évoquant des catastrophes et des urgences face auxquelles il ne peut y avoir de résistance. S’il n’y a pas de nécessité, on la crée. Le « droit » à la marchandise devient un « devoir ». Alors s’ouvrent les cataractes de l’apocalypse : pandémies, guerres et cataclysmes se succèdent sans solution de continuité. La peur conduit à accepter toutes les promesses de survie, pas vraiment de salut (le terme ne convient pas, car il évoque des palingenèses étrangères à la prosaïque dimension marchande), et c’est là que la marchandise trouve le terrain le plus fertile pour s’imposer et transformer l’homme en inerte consommateur sans volonté propre. Privé aussi de la pauvre faculté de choisir entre des marchandises concurrentes, on lui offre ce que Moloch a décidé pour lui, qu’il s’agisse du vaccin sauveur ou de la voiture prétendument non polluante (qu’il ne peut pas se permettre d’acheter et qui le contraint à s’endetter). Quant aux bombes, dans leurs capacités graduelles de destruction, elles s’imposent d’elles-mêmes lorsqu’elles tombent finalement sur les têtes des pauvres malheureux. Leur valeur d’échange a déjà été réalisée, le coup épuise leur valeur d’usage. Il n’est pas toujours possible, mais il est tout du moins opportun que cela se produise toujours plus fréquemment, ne serait-ce que pour vider les arsenaux et les remplir de belles bombes toutes neuves. Comme toute autre marchandise, la bombe conquiert et transforme l’homme, ici d’une façon un peu plus radicale : elle le détruit ou elle laisse des marques indélébiles dans son corps et son psychisme. Sans aucun doute, comme une bonne partie des marchandises disponibles, elle ne l’améliore pas…

 

La gradation des transformations que la marchandise produit dans l’homme consiste en un large spectre qui va de l’empoisonnement au changement de sexe, du gâtisme à l’anéantissement. La dernière trouvaille, qu’on appelle le « transhumanisme », une espèce d’hybridation entre l’homme et la technologie, qui se voudrait l’ultime destin de l’espèce, se propose comme la transformation poussée jusqu’à la limite d’un saut présumé d’époque, mais elle rappelle beaucoup l’histoire archi-connue de Frankenstein. Pour accomplir ces prétendus changements d’époque, l’homme du proche avenir s’annonce comme un peu châtré, et certainement pas comme quelqu’un d’éveillé. Là aussi, cette idée de l’exemplaire humain moyen imbécile, n’est pas une grande nouveauté. Le texte cité plus haut, « Volcan de la production ou marais du marché ? », rappelle la théorie des idiots élaborée par un anglais vers la moitié du siècle dernier, « qui prétendait  avoir constaté après de longues études l’augmentation de la stupidité depuis quarante ans », ce qui ferait donc remonter le phénomène au début du vingtième siècle. « Pas un mot de plus : il a raison ! » (« Volcan de la production ou marais du marché ? », cit.).

Après des millénaires de Préhistoire et d’Histoire, après les sommets  géniaux des Pic de la Mirandole et autres, l’horizon est déprimant. Nous ne sommes pas de ceux qui croient que cette issue provient d’un complot délibéré d’ultra-secrètes élites dominantes, que certains partisans de cette thèse estiment être d’origine extraterrestre ou peut-être divine (comment s’expliquerait autrement tant de puissance ?). On y arrive, selon notre toute simpliste et matérialiste vision marxiste, par la nécessaire évolution de la marchandise, qui donne à toute chose sa forme,  qui attribue à toute chose une valeur qui se représente comme de l’argent, seule représentation admise de la valeur, face à laquelle toute autre valeur (sociale, éthique, religieuse) doit être écartée car elle est un obstacle à la pleine affirmation de l’unique vérité du marché. Le « progrès » compris dans ce sens détruit toutes les anciennes certitudes, délivre l’humanité de ses mythes et l’enferme dans la toute-puissance de la marchandise. Il la délivre aussi de l’intelligence critique, de la capacité de jugement fondée sur des priorités non mercantiles, de la capacité d’entrer en empathie avec ses semblables. Marx, s’il reconnaissait la portée civilisatrice de l’expansion du Capital, était bien loin de faire coïncider la trajectoire du progrès matériel avec l’élévation de la condition humaine dans son intégralité. Il en craignait même le revers d’un abrutissement général.

 

« L’humanité devient maîtresse de la nature, mais l’homme devient esclave de sa propre bassesse. Même la pure lumière de la science peut, semble-t-il, resplendir seulement sur le fond obscur de l‘ignorance. Le résultat de toutes nos découvertes et de notre progrès semble être que les forces matérielles sont douées d’une vie spirituelle et l’existence humaine dégradée en tant que force matérielle » (K. Marx, dans Alfred Schmidt, Il concetto di natura in Marx, éd. Laterza, 1969, p. 3).

 

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Dans le monde capitaliste, on ne peut poser de limite au développement des forces productives, parce que ce développement nécessite l’extension et la généralisation continuelles de la forme-marchandise, on ne peut poser de limite parce qu’il est toujours obligé de grandir (« Doctrine du diable au corps », Battaglia comunista, n° 21 / 1951). Tout ce qui est produit et fourni comme service n'est pas pour l’homme, mais pour la marchandise, pour la réalisation de la valeur qu’elle contient. La tendance à imposer des consommations et des besoins donnés et à conquérir des domaines encore en partie soustraits à sa juridiction (la santé, l’instruction, la culture, l’art, la vie elle-même) est révélateur de cette caractéristique fondamentale de la marchandise. Bien entendu, là aussi il ne s’agit nullement d’une nouveauté dans l’histoire du Capital. Les guerres de l’opium (1839-42, 1856-60), au moyen desquelles l’impérialisme britannique imposa l’ouverture de la Chine au commerce extérieur, atteignirent leur but en soumettant des centaines de millions de chinois au besoin de drogue, et en les déshumanisant.  La limite au développement des forces productives subsiste tant que l’on donne une idée de l’humain au-delà de laquelle l’humain se transforme en autre chose, en non-humain. On arrive à un point où le Capital a besoin de démanteler l’intégrité de l’être humain, au point d’en faire un utilisateur obtus utilisé dans le circuit de production et consommation. La consommation énorme et croissante de médicaments psychotropes - ainsi que de drogues – dans l’Occident développé est l’un des symptômes les plus évidents de cette dérive. S’il y a un danger, ce n’est pas le réchauffement global, mais la crétinisation globale. Nous serions tentés de débaptiser la formule philosophique d’«anthropomorphose du capital » dans cette simple catégorie  de crétinisation globale, très peu philosophique, mais sans aucun doute moins définitive et moins prétentieuse.

 

On comprend alors ce qu’on doit entendre par « monde libre », au-delà de la rhétorique étroite qui célèbre ses triomphes passés, présents et à venir. La « liberté » est le dépassement de toute limite humaine, pour la part   naturelle qui demeure dans l’homme au delà de cette « seconde nature » que lui-même construite et qui aujourd’hui le domine. La « liberté » est alors essentiellement une violence à l’égard de la nature et de l‘homme, dans un mouvement qui n’a de considération ni pour l’un ni pour l’autre. On peut ainsi comprendre les dérives démentielles de l’idéologie LGBTQ  et le chahut des sybilles de l’apocalypse climatique,qui sont plus ou moins consciemment au service des forces qui programment la réduction radicale de la consommation des prolétaires, et peut-être aussi l’anéantissement de quelques milliards d’entre nous au moyen de bombes ou autres produits meurtriers pour faciliter la tâche. Faute de mieux, solution malthusienne par excellence pour le « salut de la planète ».

 

La rhétorique du « monde libre » s’est joliment appropriée les classiques bannières de la prétendue « gauche » finalement « libérée » des lourdes entraves de la lutte de classe : libération sexuelle, environnement, droits civiques, et toutes les fantaisies qui ne mettent pas en discussion la nature de classe de notre monde. Et même la « révolution », dans l’acception « colorée » du terme, ayant pour but la conquête des « droits » dont l’Occident serait le champion, est devenue un instrument pour tourner à son avantage les forces spontanées qui s’opposent aux régimes dits « tyranniques », pour ne pas parler de la guerre, toujours menée au nom de la « liberté » contre des Etats « voyous » qui ont le grand tort de ne pas se plier aux diktats du  maître atlantique et de ses vassaux. Qu’on pense à l’usage qui a été fait de l’idée de « solidarité », une des « valeurs » les plus claironnées par la « gauche » au temps de la pandémie : celui qui n’acceptait pas de se faire vacciner était traité de... semeur de peste, méritant d’être dénoncé, portant atteinte à la santé publique, d’«égoïste» indifférent aux besoins de la collectivité.  Le mécanisme de séparation entre les bons - la majorité – et les méchants a bien marché, et il a été proposé à nouveau dans le climat d’inquiétude guerrière qui a remplacé du matin au soir celle de la pandémie.

 

Au sommet du mensonge du monde libre – expression plus que jamais effrontée et très sotte – tout se change en son contraire. La démocratie est l’enveloppe d’un système qui tourne rapidement au totalitarisme ouvert (7), la presse « libre »est complètement asservie aux forces qui contrôlent les leviers du pouvoir financier, le « devoir » d’accueillir les migrants est imposé par le trafic international d’êtres humains qui donne libre cours à la surproduction mondiale de marchandise force de travail, la souveraineté nationale est niée par un « super-Etat » toujours plus oppresseur dans ses articulations politiques, économiques, sanitaires et militaires. Tout cela est le résultat inévitable de l’énorme centralisation du pouvoir financier dans un petit nombre de sociétés qui exercent leur contrôle sur un réseau mondial d’entreprises et qui sont en mesure de dicter les plannings des gouvernements, orientés vers la marchandisation de tous les aspects de la vie, en s’appuyant sur les articulations du « super-Etat » dont nous parlions.

 

Ce « super-Etat» , résultat du triomphe du capitalisme américain dans la seconde guerre mondiale, s’est étendu et renforcé depuis 1950, année où a été publié le « fil du temps » dont nous sommes partis, et il a pris toujours plus de poids et d’influence. L’ONU, l’UE et l’OTAN sont les super-champions du « monde libre » et s’érigent en  décideurs du destin du monde entier. C’est d’eux que provient l’ultime élan pour imposer cette liberté du marché qui a bien sûr été accordée dans la phase monopoliste au niveau planétaire et dans tous les aspects de la vie, en détruisant tous les obstacles qui s’opposent.

 

Depuis soixante-dix ans, ce système mondial a imposé sa loi et a joué à tout va sur la base de la supériorité objective du seigneur atlantique. Un système impérialiste mondial tendantiellement unique et intégré (à ne pas confondre avec la banalité de l’«impérialisme unitaire » style Lotta Comunista S.p.A. ou  avec celui imagé de l’ « imperium » de Toni Negri et Consorts), avec une division des rôles fonctionnelle, mais ne pouvant pas se conformer pleinement aux lois imposées par le centre dominant. L’avancée du « monde libre » a bouleversé tous les obstacles et imprégné tous les coins du monde, elle a créé un véritable système mondial, non seulement d’échanges mercantiles, mais de production, à travers les chaînes mondiales de la valeur. Ce faisant elle a cependant fait naître de puissants antagonistes, qui aujourd’hui s’opposent comme de nouveaux obstacles à l’avancée ultérieure du processus destructeur et assimilateur conduit par le capitalisme hégémonique, porte-drapeau du « monde libre ».

 

Les puissants antagonistes qui émergent aujourd’hui sont les forces capitalistes qui s’opposent à la course du « monde libre » au nom de valeurs et d’intérêts nationaux, traditionnels, religieux, constitutionnels. Qu’ils le fassent au nom de Dieu, de la nation ou du droit, a une importance relative (à chacun sa guerre sainte). Ce qui compte, c’est que leur opposition à la concentration de puissance qui interprète les dernières instances du développement capitaliste est l’expression de réelles forces de classe.  Ceci vaut soit à l’intérieur du « monde libre », soit pour les nations qui affrontent l’élan produit par l’impérialisme hégémonique pour réaffirmer leur propre suprématie.

Parmi les forces nationales, la Russie et la Chine – pourtant toutes deux éminemment capitalistes – sont des obstacles qui ne sont pas sans importance. Dans les forces de classe, on voit des secteurs du prolétariat adhérer à des formes conservatrices ou même réactionnaires, pour donner une voix à leur lutte. En Europe aussi on assiste à ce phénomène, et cela ne nous étonne pas. Du point de vue du progressisme bourgeois, les luddistes furent conservateurs et réactionnaires face à la menace du machinisme, qui privait les ouvriers du contrôle sur le processus de travail. Ce n’était que l’aube d’un mouvement de classe qui devait avancer la théorie et l’organisation de la révolution prolétarienne dont nous nous réclamons. Même dans la situation russe de 1917, les courants réactionnaires étaient très forts parmi les masses, mais selon Lénine cela ne compromettait nullement le caractère prérévolutionnaire de la situation.

 

« Selon Lénine, quand on a une grande crise sociale, c’est-à-dire quand les gens n’entendent plus vivre à l’ancienne manière, cette « non volonté » peut se manifester et même ne peut pas ne pas se manifester, soit dans un sens révolutionnaire, soit dans un sens réactionnaire.  Et même il affirmait encore contre Zinoviev, qu’une situation révolutionnaire ne serait même pas possible s’il n’existait pas des masses qui se dirigent dans un sens réactionnaire et qui pour cela élèvent au cube le facteur subjectif »  (G. Lukacs, L’homme révolutionnaire).

 

Il est vrai aussi que souvent l’opposition visible à l’avancée de la marchandisation – au sens que nous avons essayé de lui donner ici – s’est manifestée et se manifeste dans des forces « de droite » ou se déclarent  étrangères aux anciennes catégories politiques et idéologiques. Toutes ces forces, à l’épreuve des faits, ont finalement cédé et dans l’avenir céderont aux diktats de ces institutions du « super-Etat » et des « marchés financiers » internationaux.  Ce sera au cours de la bataille qui a encore du mal à éclater que la perspective prolétarienne émergera dans son contenu révolutionnaire et s’imposera comme la seule capable de mener victorieusement à son terme la guerre contre la barbarie du Capital.

 

                                                           ***

 

La limite au développement des forces productives sociales que Marx reconnaît comme étant un défaut insurmontable du mode de production capitaliste ne doit donc pas être entendue dans un sens absolu, comme une incapacité de continuer à développer la masse de la production. Le capitalisme a démontré historiquement qu’il voulait abattre toutes les limites qui s’opposent à une augmentation  des domaines de production de marchandises, matérielles et immatérielles. Ce que le Capital ne sait et ne peut pas faire, c’est d’adapter la production à la consommation sociale centrée sur les besoins humains concrets, sur le développement potentiel contenu dans la production sociale de biens et dans leur utilisation sociale. Cette perspective comporte un renouvellement de l’être humain à travers la redécouverte de sa nature intrinsèquement sociale, que l’ère des sociétés de classe a au cours du temps occultée et affaiblie , sans pouvoir l’effacer définitivement pour autant.   Si dans l’époque présente la nature sociale de l’homme est progressivement niée par les forces du Capital, c’est parce que le Capital lui-même a créé les conditions pour que se réaffirme l’homme social et parce qu’une partie croissante de l’humanité en ressent la nécessité.

 

Marx condamne l’idolâtrie de la nature, mais tout son travail vise à réaffirmer la nature sociale de l’être humain, contre la trajectoire socialement destructrice du Capital. On ne l’inverse pas en brandissant les bannières de la morale, de la tradition, de la nation ou de la défense de la nature. Ceux qui y croient peuvent  brandir des symboles religieux pour exorciser les puissances diaboliques de l’argent. Pour nous elle reste une question de force de classe. Aujourd’hui cette force n’est pas encore, hélas, la prérogative du prolétariat mondial : elle est la prérogative des concentrations de puissance qui s’opposent au centre du capitalisme mondial, qui voudraient s’y substituer pour conserver l’actuel système mondial. Nous ne pouvons pas ne pas regarder avec un grand intérêt cet affrontement, le bouleversement général des équilibres mondiaux qui approche, bien que nous soyons tout à fait conscients des difficultés et des contradictions du processus en cours et du fait qu’il se présente, pour le moment, entièrement à l’intérieur des dynamiques capitalistes.

 

Dans son parcours destructeur et révolutionnaire, le Capital rencontre des obstacles et se dispose à les surmonter, mais « du fait que le Capital pose chacune de ces limites comme un obstacle et donc l’a dépassée en idée, il ne s’ensuit nullement qu’il l’ait dépassée réellement, et comme chacun de ces obstacles contredit  sa fin, sa production se meut entre des contradictions continuellement dépassées, mais tout aussi continuellement posées. Et il y a plus. L’universalité à laquelle il tend irrésistiblement trouve dans sa nature même des obstacles qui à un certain niveau de son développement feront reconnaître dans le capital l’obstacle majeur qui s’oppose à cette tendance et donc poussent à ce qu’il soit supprimé à travers lui-même » (Marx, Fondements…, cit.).

 

A travers lui-même : c’est-à-dire en se fondant sur ses contradictions, et non sur le Bon Dieu ou sur des « valeurs » que le capital a lui-même déjà remisées au grenier. Le grandiose bouleversement qui voit des pays hier encore à genoux  devant l’occident atlantiste tenter de se révolter contre leur ancienne sujétion, en tombant dans les bras de nouveaux regroupements de forces au nom et dans la tentative de s’affranchir de l’orbite de la finance occidentale, est naturellement un fait (mais rien de plus qu’un fait !) déstabilisant. Du point de vue des forces nationales, il s’oppose comme un obstacle extérieur à l’avancée destructrice des forces du capitalisme le plus avancé, ce « monde libre » désormais en pleine décadence économique et, pour ceux qui y croient, spirituelle. Toutefois, en tant que forces développées à l’intérieur de ce système-monde, elles-mêmes produit du développement des forces productives sociales, elles se posent comme des obstacles intérieurs à sa pleine affirmation. La limite indépassable du capital est intérieure, elle se trouve dans le développement atteint par les forces productives, qui ne peuvent plus désormais être contenues à l’intérieur de l’ancien système mondial, et, en perspective, dans l’étroite forme mercantile. Quand la bataille se déplacera sur ce terrain, contre la marchandise, ce sera le moment de la lutte de classe ouverte, dont nous attendons le puissant retour.

 

NOTES :

1 - L’article Les guerres perpétuelles que tu ne devrais pas noter, de W.J. Astore, un ex-officier de l’armée US, retrace un tableau efficace de l’institution qui représente le plus la concentration de puissance américaine. Nous en reproduisons un passage :

« Aucune autre nation au monde ne considère ses militaires comme (pour emprunter un slogan éphémère de la Marine) « une  force globale pour le bien .  Aucune autre nation ne divise le monde entier en commandements militaires (comme AFRICOM pour l’Afrique et CENTCOM pour le Moyen Orient et des parties de l’Asie centrale et méridionale), dirigés par des généraux et amiraux à quatre étoiles. Aucune autre nation n’a un réseau de 750 bases étrangères réparties dans le monde entier. Aucune autre nation ne se bat pour une domination globale à travers des opérations dans tous les domaines, en entendant par là non seulement le contrôle des moyens de combat traditionnels – la terre, la mer et l’air – mais aussi l’espace et le cyberespace. Tandis que d’autres pays se concentrent principalement sur la défense nationale (ou sur telles ou  telles agressions régionales),  l’armée US se bat pour la domination globale et spatiale totale. Vraiment exceptionnel ! »  ( https / strategic-culture-org.translate .goog/news /2023/08 /the-perpetual-wars-you-aren- supposed-to-notice ?? x tr sl=end& x tr hl=it& x tr pto =s. Actuellement, le site, classifié comme prorusse, apparaît sanctionné, et donc obscurci par Google . A propos de liberté de l’information dans le « monde libre » …).

2 - La référence vint de Gunther Anders, L’uomo è antiquato (l’homme est archaïque), Boringhieri, 2007.

3 - « Le développement du capital fixe montre à quel point le savoir social général, knowledge, est devenu une force productive immédiate, et donc que les forces productives sociales sont produites, non seulement sous forme de savoir, mais comme des organes immédiats de la pratique sociale, du processus de vie réelle ».

Ici Marx semble anticiper le passage  du contrôle du Capital sur la production au contrôle sur toute la société comme résultat du développement des forces productives sociales, le passage de la domination formelle à la domination réelle,  étendu depuis le processus productif jusqu’à toute la société. Dans cette phase « c’est le développement de l’individu social qui se présente comme le grand pilier qui soutient  la production  et  la richesse » (Marx, Fondements…). Du moment où le Capital exerce un contrôle complet sur tout le processus de production et de circulation, qui pour Marx constitue une unité de la force de travail et de la société dans son ensemble , même ce qu’on appelle le « temps libre » (en réalité temps libéré par le travail nécessaire à la reproduction de la force de travail de la société à un minimum dans son ensemble) devient un moment de cette intégration – contrôle non formel mais exercé au moyen d’instruments fournis par le general intellect –, «la contradiction  fondamentale qui décrète la finitude du mode de production capitaliste et son nécessaire dépassement exploserait : « (à la) réduction du travail nécessaire de la société à un minimum (…) correspondent ensuite la formation et le développement artistique, scientifique, etc. des individus grâce au temps libéré et aux moyens créés pour eux tous. Le capital est lui-même la contradiction en procès, du fait qu’il tend à réduire le temps de travail à un minimum, tandis que d’autre part il pose le temps de travail comme unique mesure et source de la richesse » (Fondements, cit.).

4 - Nous faisons naturellement allusion à Jacques Camatte, qui a fait partie de notre organisation dans les années 60, pour ensuite l’abandonner au milieu de la décennie et dénaturer le marxisme. C’est à lui que l’on doit l’expression anthropomorphose du Capital pour signifier l’identification (prétendue selon nous !) de l’être humain au Capital.

5 - Si les luttes des années Soixante-dix affirmaient la liberté sexuelle, aujourd’hui le capital impose une idéologie de consumérisme sexuel illimité, comportant l’asservissement à toutes sortes de stimuli induit par l’échantillonnage des « perversions ». Ces mêmes luttes soutenaient le droit à une sexualité libérée de la procréation, aujourd’hui le capital joue sur la séparation entre procréation et sexualité. La première peut advenir sans rapport sexuel, en laboratoire, fabrique d’êtres vivants, ou être simplement déléguée à une entreprise spécialisée dans le recrutement de femmes enceintes. Même l’événement de la naissance prend la forme d’une marchandise, de même que la mort dans une clinique qui garantit le suicide assisté. Nous ne voulons certes pas mettre en discussion l’espoir d’avoir une mort dans la dignité, mais souligner le fait que l’extension de la catégorie marchandise a désormais atteint tous les aspects de la vie, depuis la conception jusqu’à la mort elle-même.

6- Nous pouvons partager cette citation: « Rien ne doit contenir le droit de s’acheter, vouloir et être tout ce que l’on désire. Tout désir est un droit acquis avec la bénédiction de la religion du capital. Le marché se nourrit des droits, il les amplifie  pour pouvoir vendre ses produits (https : // www. sinistrainrete.info/articoli brevi /26210-salvatore-bravo-totalitarismo-della-chiacchiera. html).

7- En Italie, l’obligation de sérums expérimentaux a effacé, avec un banal instrument de droit administratif, le principe de l’Habeas corpus, affirmé par les révolutions bourgeoises et fondement du rapport moderne entre l’Etat et le citoyen.

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